jeudi 24 septembre 2009

J’ai eu les clés de l’appartement le 28 juillet. Le jour même, nous avons déménagé les affaires des trois lieux où elles étaient entreposées depuis janvier 2008 : une cave dans le 11ème, un garage dans le 18ème, et le salon de mes amis P. et C. Nous étions sept, alors en une grosse matinée, nous avons tout déménagé. J’étais complètement euphorique et tout s‘est déroulé dans la bonne humeur. Puis nous avons déjeuné tous ensemble dans l’appartement au milieu des cartons. Le temps que j’aille chercher des brochettes grillées avec Madiop et mon frère, mes amis avaient retrouvé la vaisselle et mis la table. Ils avaient aussi installé un peu partout de petits bibelots qui donnaient déjà de la vie à l'appartement et m'ont fait tout de suite sentir chez moi.

J’avais quatre jours devant moi avant de rejoindre les enfants dans le sud pour quinze jours de vacances. Mais pendant ces quelques jours, je n’ai quasiment rien fait. J’étais plantée là à contempler les cartons et je me disais "Tiens, il faut que je fasse ça", "Tiens il y aussi ça", mais je n'étais d’aucune efficacité… Je n'y dormais pas encore, je n’avais pas de frigo, pas de cuisinière, pas d’eau chaude, pas de rideaux… Mais surtout j’étais comme dans un rêve, je n’arrivais pas encore à y croire.

Pendant les vacances, nous nous sommes bien reposés avec les enfants. Nous étions chez une amie qui habite à Bayonne et nous sommes allés à la plage tous les jours, j’avais vraiment besoin de voir l’océan. Les enfants se sont beaucoup amusés quand la mer le permettait et qu’il n’y avait pas trop de vagues ni de baïnes. Puis nous avons passé quelques jours chez mes parents où nous étions en famille. Mais je n’avais qu’une idée en tête : être de retour à Paris pour tout mettre en place avant que les enfants ne reviennent : je faisais des listes et des plans, je commandais tout ce que je pouvais sur internet pour gagner du temps. Le 15 août, je suis retournée seule à Paris pour continuer à aménager l'appartement. Les enfants restaient encore une semaine avec ma mère, il fallait absolument que la maison soit habitable à leur retour.

Je me suis remise à la tâche, mais il m'a fallu encore quatre jours pour enfin me décider à y dormir. Je restais toute la journée dans l’appartement à travailler, et quand arrivait le soir je fermais la porte et allais squatter chez des amis qui étaient absents… Tout le monde me charriait, chaque jour on me demandait si enfin j'avais dormi dans mon appartement… Je n’arrive pas à l’expliquer, mais il m’a fallu un temps pour me faire à l'idée que j'avais un chez-moi. Enfin un beau jour, je me suis sentie prête et j'ai dormi dans ma chambre. Maintenant je n’envisage plus du tout de passer la nuit ailleurs !

C'est vraiment un très bel appartement. Il n’a rien de ce qu'on imagine d'un HLM, à part le montant du loyer. C'est dans un immeuble ancien qui a été entièrement rénové. Tout a été refait avec goût : l’agencement est intelligent, les murs sont peints de trois couleurs différentes, et il y a plein de petits détails comme des bancs en bois brut sous les fenêtres, des petites tablettes dans les recoins de la cuisine, des motifs peint dans la faïence des carreaux de la cheminée... Tout à fait bourgeois ! Une amie qui nous a rendu visite m’a même surnommée « La bourge de Château Rouge » !

Je me suis fait plaisir en investissant dans de beaux lits pour les enfants, un frigo, une cuisinière, des rideaux, plein de petites choses. Camille a une fois de plus été très généreuse, elle nous a offert des meubles très utiles : un canapé rouge, deux matelas pour les enfants, un futon pour moi. J'ai aussi hérité d'une table et de cinq chaises de mon grand-père. Nous avons à peu près tout ce qu'il nous faut pour vivre normalement. Je veux que ma maison soit belle et agréable, mais maintenant je sais que si demain je perdais tout ce ne serait pas la fin du monde. Je n’avais pas cette distance avant, je suis contente de l’avoir maintenant. Je pense que les enfants, même s’ils sont encore petits, ont pris conscience de cela aussi, et j'espère que ça pourra les aider plus tard à relativiser les revers de fortune...

Jules et Orphée sont arrivés avec leur grand-mère quelques jours avant la rentrée. J’étais impatiente de voir leurs têtes ! Je leur ai laissé deviner quel immeuble nous habitions, quel étage, quelle porte… Ils étaient super excités. Quand j’ai ouvert la porte, ils se sont précipités à l'intérieur et ont trouvé aussitôt leur chambre. C’était la seule pièce vraiment aménagée de toute la maison : il y avait là leurs nouveaux lits superposés qui faisaient tant rêver Jules, des rideaux aux fenêtres, des tapis de couleur... Et surtout leurs livres et leurs jouets, qui attendaient depuis un an et demi d'être sortis de la cave où ils dormaient.... Une vraie ambiance de chambre d’enfant comme ils n'en ont jamais eue, puisque pendant un an et demi nous avons habité chez les autres, et avant nous partagions la même chambre. C’était vraiment important pour moi que cette pièce soit prête à leur retour, je voulais qu’ils soient heureux en la découvrant. Et de fait, ils s'y sont plongés comme dans une caverne d'Ali Baba.

Au bout d’un long moment, Jules a pointé son nez dans la cuisine pour me demander où étaient les toilettes. Il s'est rendu compte qu'il ne connaissait pas encore les lieux. Alors avec son frère, ils ont joué à deviner où se trouvaient d'abord les toilettes, puis ma chambre, c'était comme un jeu de piste avec des "chaud !", "froid !", les enfants s'amusaient à ouvrir les placards et à retarder le moment où ils auraient tout vu (l'appartement est assez grand, mais on en a vite fait le tour !)

Puis, comme nous sommes dans un quartier à petits commerces, et aussi pour marquer cette nouvelle étape dans sa vie, j’ai proposé à Jules de descendre acheter du riz chez l'épicier, juste en face de chez nous. Il a sept ans, et c'était la première fois qu'il sortait tout seul dans la rue. Il avait un peu peur mais il était tellement fier ! On l'a accompagné depuis la fenêtre, il était très prudent pour traverser la rue et en sortant de la boutique, il nous a adressé un large sourire en brandissant le paquet de riz, il avait réussi sa mission.

Pour leur première nuit dans leur nouvelle maison, je me suis installée sur un matelas par terre dans leur chambre, je voulais être près d’eux. Jules a mis du temps à s'endormir. Orphée au contraire s’est endormi très facilement, mais dans la nuit il s’est réveillé plusieurs fois et j’ai fini par le prendre avec moi. Le matin, il s’est mis à genoux à côté de moi et a demandé : « On est dans la maison de qui ? ». Et quand je lui ai répondu que c’était notre maison, il a eu un grand sourire ravi.

Les jours suivants, on a continué à emménager. C’est un peu tous les jours Noël à la maison, car il y a encore des cartons à défaire, et nous découvrons chaque jour de nouveaux objets, livres, jouets, dont nous avions complètement oublié l’existence, c’est un vrai plaisir ! Il y a des choses dont je ne comprends même pas pourquoi j’avais pris la peine de les emballer et de les ranger dans la cave...

(Il y a aussi des affaires qui ont disparu pour diverses raisons. Par exemple lors de notre déménagement en janvier 2008, où il nous était arrivé cette petite anecdote : après avoir sortis le plus gros de l’appartement, nous avions mis les quelques affaires que je voulais garder avec moi chez P. et C. dans des sacs-poubelles. Nous avions fini tard dans la soirée, et tout entreposé dans le couloir, les cartons, les bagages et un sac-poubelle avec d'autres affaires. Le lendemain, lorsque je suis rentrée le soir, j’ai voulu ranger et là, surprise, il manquait le sac -poubelle : c'était ma mère qui voulant bien faire l'avait descendu dans le local… poubelle. Il était trop tard, les éboueurs étaient déjà passés !)

Et puis il y a eu la rentrée des classes. C'est la première année en maternelle d'Orphée, et ça s’est très bien passé. Ses deux années en crèche parentale lui ont beaucoup appris sur la vie en communauté. Fréquenter beaucoup de parents et de personnes différentes aide les enfants à se sociabiliser plus facilement, je pense. De plus, deux copains de la crèche sont dans la même classe que lui. C’est très agréable aussi, pour nous les parents, de nous retrouver. Il est dans l’école que fréquentait son frère avant de rentrer en primaire. Jules quant à lui est maintenant en CE1. On n'a pas changé d'école. Il faut dix minutes pour y aller en marchant tranquillement, ça va. Je souhaitais qu’ils aillent dans des écoles qu’ils connaissent, avec leurs copains, pour ne pas tout bouleverser en même temps. J’ai envie que cette année soit tranquille.

De manière générale, les enfants se sont vite familiarisés à leur maison, ils ont complètement assimilé cette nouvelle situation. C'est vrai qu'ils ont l'habitude de changer d'environnements, ils savent bien s'adapter... Jules disait parfois qu'il voulait continuer à vivre en "bohémiens", il aimait aller d'appartement en appartement, découvrir de nouveaux lieux, de nouveaux jouets, de nouveaux copains et copines, il avait peur d'être en manque de ce mouvement. Je crois que maintenant il a complètement changé d'avis ! Pour l'instant en tout cas ! C'est difficile d'exprimer le bonheur que nous ressentons tous les trois d'avoir définitivement fini notre errance et posé nos valises. Je n'oublie pas que c'est en grande partie grâce à ce blog, grâce à tous ceux qui nous ont aidés, hébergés, encouragés que nous avons tenu le coup et que nous arrivons aujourd'hui au bout de cette histoire.

Bien sûr je n'oublie pas tous ceux qui n'ont pas eu la chance que nous avons et qui restent sans logement. Il y a tellement de familles à Paris qui vivent dans des conditions déplorables, sans logement fixe, parfois depuis très longtemps, parfois presque sans revenus, ou sans papiers... Je voudrais que la mobilisation qui a fonctionné pour moi fonctionne aussi pour eux, il y a encore beaucoup à faire !

Ce post est probablement l'un des derniers... J'ai commencé ce blog pour raconter notre vie à Paris sans logement, il n'a plus de raison d'être maintenant que nous sommes arrivés à bon port. Je voudrais remercier une nouvelle fois toutes celles et tous ceux qui en ont suivi les hauts et les bas depuis plus d’un an, et en particulier ceux qui m'ont écrit et soutenu. Pour fêter ensemble la clôture du blog et l'heureuse résolution de notre aventure, je voudrais vous inviter à notre pendaison de crémaillère, le 10 octobre. Ecrivez-moi si vous pouvez venir, je vous donnerai toutes les coordonnées ! Je vous embrasse tous. Julie.

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