Ces derniers jours, je dois dire que je me suis sentie vraiment dépassée, il m'a fallu prendre un peu de recul. J'ai reçu énormément de messages de soutien, de propositions, d'offres d'aide, de conseils, d'encouragements ! On nous a proposé des hébergements temporaires, des coups de main pour des déménagements, des petits tuyaux pour que les enfants se sentent bien, des dons d'habits, on m'a même proposé de garder les enfants. Des gens m'ont écrit de partout dans le monde, des hommes et des femmes de toute classe sociale, parents ou pas, des anciens SDF, des grands-pères et des grands-mères, des étudiants, et même des adolescents qui me disent : « J'ai 12 ans mais je trouve tout de même ça révoltant !» Je voudrais vraiment pouvoir remercier chacun d'entre vous, c'est incroyable que tant de gens se sentent touchés par notre situation, et vous n'imaginez pas à quel point c'est réconfortant de sentir que l'on n'est pas tout seul !
J'ai reçu aussi beaucoup d'autres sollicitations de la presse, de radios et de télés. Pour l'instant j'ai préféré ne pas donner suite. Ma priorité actuellement est de trouver un logement et de m'occuper de mes enfants. J'ai commencé ce blog dans cette urgence et je vais continuer, mais je n'ai pas le temps de faire plus, et je ne veux pas nous exposer davantage. Certaines personnes voudraient faire de moi l'égérie des mal-logés. Mais je ne me vois pas dans ce rôle-là, je n'ai pas l'âme d'une porte-parole, ça ne me ressemble pas du tout. Bien sûr, je veux que ce qui se passe en ce moment soit utile à tous ceux qui comme nous ont besoin d'un toit. Mais tout ce que je peux faire, je le fais par ce blog. Il y a même plusieurs éditeurs qui m'ont proposé de faire un livre ! Cela m'a bien fait rire, c'est un peu exagéré quand même !
Cependant j'ai accepté de rencontrer une journaliste de l'émission « Arrêt sur image » qui est diffusée sur internet, mais c'est pour un article écrit qui est paru sur leur site. Leur démarche est différente, l'article parle de la solidarité qui s'est créée chez les « mamans blogueuses » et tente de retracer comment le mouvement s'est formé. Et j'avoue que j'étais curieuse de le comprendre ! Ce qui est amusant, c'est que la journaliste a retrouvé la première personne qui a mis mon blog en lien depuis le sien ("la mare enchantée"), et il se trouve que je connais très bien cette personne, mais elle ne m'avait pas mise au courant de sa démarche. Et si ça se trouve, tout a commencé grâce à elle...
J'ai vu aussi qu'il y a eu quelques débats sur le blog et apparemment ailleurs. J'imagine que c'est inévitable quand on fait l'objet d'un article à la fois aussi personnel et aussi public. Je ne tiens pas à répondre à des critiques souvent mal informées, mais je voudrais préciser deux-trois choses qui étaient peut-être ambiguës dans l'article du Monde.
D'abord, l'article laisse entendre que j'avais un « emploi » à Bordeaux que j'aurais quitté pour venir à Paris. En réalité, j'étais en formation dans les chevaux et nous avions une semaine d'école pour deux semaines de stage. J'ai ainsi travaillé dans des écuries pendant quatre ans mais sans être rémunérée. Lorsque j'ai quitté Bordeaux, il y a maintenant dix ans, c'était à la fin de ma formation, je n'avais pas de travail. C'est en arrivant à Paris que j'ai commencé à gagner ma vie en faisant des petits boulots.
Par ailleurs, concernant Madiop, le père de mes enfants, je ne voudrais pas qu'on imagine que c'est quelqu'un d'absent, de négligent, ou d'irresponsable. Nous sommes séparés mais nous restons proches et nous nous respectons beaucoup. Financièrement, il n'a pas actuellement la capacité de m'aider, mais chaque fois qu'il le peut, il est présent pour les enfants. Souvent, je quitte tard le travail et c'est lui qui se charge d'aller chercher Jules à l'école et Orphée à la crèche, et il les garde régulièrement le soir.
Enfin, je voudrais répondre aux gens nombreux qui me conseillent de quitter Paris pour la banlieue ou la province. Si je ne le fais pas, ce n'est pas par entêtement, c'est que la question ne se pose pas vraiment : toute ma vie est ici. Mon travail est ici, le père de mes enfants est ici, mon frère est ici, mes amis sont ici, l'école de Jules est ici, tous ses copains sont ici, la crèche d'Orphée est ici... Si je pars de Paris je n'aurai plus rien. Je veux rester à Paris parce que maintenant c'est chez moi, voilà tout. Je ne veux pas que ce soit un luxe réservé aux riches. Je pense que chacun devrait être libre de vivre où il le souhaite, quels que soient ses revenus.
Et voilà que même M. Vaillant m'a laissé un commentaire jeudi soir ! Je le remercie beaucoup de sa réponse que j'ai lue attentivement. Je ne doute pas que lui et son équipe fassent de leur mieux pour régler le problème du logement dans le 18ème. Qu'il se rassure, je n'ai jamais pensé que la médiatisation suffirait à avoir un logement social tout de suite. Ça serait trop facile s'il suffisait de passer dans un journal et hop tout est réglé !
Je ne demande pas un traitement de faveur. Je suis bien consciente des difficultés de la mairie avec toutes les demandes d'urgence, mais il y a un vrai problème et j'en fais partie.
Si je peux donner mon avis, je trouve déprimant que la réponse des politiques soit toujours : "On ne peut rien faire de plus..." Je ne sais pas ce que les politiques devraient faire pour régler le problème du logement, mais c'est à eux de le savoir, pas à moi ! S'ils sont d'accord pour dire que ce n'est pas normal que des dizaines de familles soient à la rue, s'ils sont d'accord que des cas comme le nôtre ne sont pas isolés mais qu'il y a un vrai problème social, c'est leur travail à eux de trouver des solutions, non ?
M. Vaillant, vous avez certainement raison de rappeler que les règles sont les règles et qu'elles sont les mêmes pour tous. Je suis bien d'accord. Mais je n'oublie pas que les règles, c'est vous qui les faites ! C'est votre responsabilité de décider de construire plus de logements sociaux, de décider s'il vaut mieux les attribuer aux plus pauvres ou bien aux classes moyennes, de décider si les gens qui dépassent les plafonds doivent encore être logés par les HLM ou s'il faut davantage de roulement... Je comprends quand mon assistant social me dit qu'il ne peut rien faire de plus, parce que je sais que ses moyens d'actions sont limités par les choix qu'ont faits les élus. Mais vous, vous ne devriez pas pouvoir dire cela, car c'est votre rôle de politique de trouver des solutions aux problèmes, non ? C'est difficile, je veux bien le croire, mais c'est votre travail et vous l'avez choisi.
Mon travail à moi, à mon petit niveau, c'est de vous expliquer la situation, pour que vous compreniez mieux ce que vivent les gens sans logement, et que vous puissiez mieux répondre à leurs problèmes. C'est pour cela que j'ai commencé ce blog. D'autres le font autrement, en militant ou en manifestant, moi je le fais avec ce blog. Si cela peut modifier ne serait-ce qu'un tout petit peu les politiques vis à vis du logement, alors ça n'aura pas servi à rien.
Pour ce qui est des hébergements d'urgence, c'est-à-dire de l'hôtel, c'est vrai que je n'ai pas accepté l'aide des services sociaux. M. Kossi, qui m'a reçue à la permanence, a aussi beaucoup insisté mais l'hôtel coûte extrêmement cher malgré les aides financières. On ne peut pas y vivre au quotidien comme dans un appartement (on ne peut pas cuisiner, les toilettes sont souvent sur le palier...) Et je connais tellement de familles qui y sont depuis des années...
Pour l'instant donc, pas de nouvelles des HLM, et la vie continue pareil.
Lundi, j'ai enfin trouvé un moment de libre pour aller à la cave où sont entreposés d'anciens habits de Jules que j'aurais voulu mettre à Orphée. Je suis arrivée là-bas toute contente, j'ai surpassé ma phobie du noir pour trouver la lumière au fond de la cave et j'ai ouvert la porte que j'avais fermée il y a plusieurs mois. Je n'y étais jamais revenue et je ne me souvenais pas de la façon dont on avait rangé. En fait c'est un véritable Tétris en 3D ! Tout y est empilé à la perfection du sol au plafond, et bien sûr je n'avais pas imaginé devoir récupérer des affaires au compte-goutte, ce qui fait que je n'ai rien retrouvé. J'ai refermé la porte, éteint la lumière et suis repartie un peu amère. Le soir, comme je racontais ma déception à Emmanuelle, elle s'est levée d'un coup et a sorti d'un placard plein d'habits de ses filles qui étaient trop petits et qui pouvaient aller aussi bien à des garçons !
Le week-end dernier nous n'avions pas de déménagement à faire, du coup on a pu profiter de nos journées. On est allé au parc rejoindre des amis et comme nos enfants sont du même âge et que ce sont des petits mecs, ils ont joué au foot. Ça peut paraître anodin mais ce sont juste des moments de joie.
Nous quittons l'appartement d'Emmanuelle dans quelques jours. Je lui suis très reconnaissante pour son accueil et surtout ça a été une vraie rencontre. Elle et ses filles ne sont finalement pas parties en vacances. Léah a été très malade, son état ne lui permettait pas de voyager. Du coup on a passé beaucoup de temps ensemble. L'avantage de vivre des choses difficiles, c'est que cela rend plus fort et que l'on rencontre des gens formidables.
Cette fois-ci, je vais sous-louer un appartement pour un mois. Nous restons une fois de plus dans le quartier, entre le jardin d'Eole et la rue Marx Dormoy. Mais j'espère que ce sera le dernier, et qu'ensuite nous aurons notre appartement à nous !